Au terme de cette séance commune entre nos deux académies sur un sujet aussi préoccupant
que les infections émergentes, quelles sont les grandes lignes qui se dégagent et
quel futur envisager ?
L’augmentation des infections émergentes relève de trois causes principales, citées
par tous les orateurs de cette réunion. La première est la modification de l’écosystème,
généralisée à la planète entière et illustrée par une urbanisation croissante et une
déforestation massive. La deuxième cause provient d’un défaut de la vigilance par
les systèmes de contrôle, que ce soit en raison de moyens insuffisants ou d’instabilité
politique. Enfin, la troisième cause est la survenue de résistances aux antiinfectieux
ou de mutations génétiques qui font surgir des pathogènes très virulents.
Ces trois facteurs s’associent et sont actuellement aggravés par la mondialisation,
les migrations, la circulation internationale très rapide des hommes et des animaux,
et par le réchauffement climatique. Il ne faut pas omettre de souligner qu’aujourd’hui
70 % des infections émergentes chez l’homme sont des zoonoses.
La liste des infections émergentes nouvelles est longue : les plus récentes dans nos
mémoires sont l’infection à VIH, l’hépatite C, le SRAS dû à un coronavirus SRS-CoV,
la grippe aviaire à A/H5N1, l’infection à Ebola et l’épidémie à virus ZIKA. Les infections
anciennes et ré-émergentes sont centrées par la multirésistance aux anti-infectieux,
les plus menaçantes à ce jour étant la tuberculose, l’infection à S. Aureus et récemment
les E. Coli multirésistants. Elles font réfléchir sur l’importance de surveiller de
près les pratiques de l’antibiothérapie afin d’économiser la sensibilité aux antiinfectieux.
Il faut ajouter à cela les modifications de nos comportements sociaux ou alimentaires,
qui créent de nouveaux types d’infections chez l’homme: par exemple l’ani-sakiase
par consommation de poissons crus ou encore l’infection à Listeria par conservation
au frigidaire d’aliments contaminés par Listeria.
Quel que soit le type d’infection nouvelle sa détection rapide est une priorité signalée
par tous.
Elle ne peut s’opérer que par un système de surveillance très structuré tel que celui
du CDC aux Etats-Unis ou celui de l‘Agence française de santé avec l’Institut de la
veille sanitaire (InVs). Par un circuit permanent veille-alerte-surveillance l’agence
doit détecter dans une masse d’informations la survenue d’une émergence. La détection
d’une situation inhabituelle repose en grande part sur la compétence et l’expertise
du personnel de surveillance (cliniciens et biologistes). Actuellement des travaux
sont en cours pour l’exploitation des données (big data), afin de tenter d’obtenir
des informations plus rapides sur l’ensemble des pays de la planète.
L’avenir de la lutte contre ces infections émergentes ne peut passer que par la qualité
de la surveillance et de l’information.
La qualité de la surveillance est dominée par la rapidité de la détection mais aussi
par la compétence des épidémiologistes. Pour cela, il est maintenant indispensable
que les pays en développement, d’où proviennent souvent les maladies infectieuses
émergentes, puissent disposer d’équipements adaptés et de personnels formés. L’intensification
de la recherche est urgente et il faut citer un projet associant l’Institut Pasteur
à un certain nombre d’institutions et d’hôpitaux pour développer une recherche très
vaste sur la connaissance des infections émergentes, à la fois sur la transmission
de ces infections, les mécanismes de résistance, les relations hôte-agent pathogène,
le franchissement de la barrière d’espèce, etc...(Projet Labex).
Dans la pratique la mise en évidence d’une infection émergente nouvelle réclame de
la part des autorités sanitaires des mesures rapides mais qui soient applicables aux
yeux d’une nouvelle société plus complexe qu’au début du siècle dernier. Savoir communiquer
sans créer de panique tout en maitrisant la circulation des contacts, savoir aussi
informer efficacement les pays du Nord comme ceux de Sud que les risques peuvent rapidement
s’étendre et que la globalisation des conséquences d’une infection nouvelle est devenue
une réalité.
La coopération des équipes Nord-Sud travaillant en réseaux, souvent initiés par l’OMS,
doit impérativement se développer de façon durable si l’on veut accéder à une qualité
de veille sanitaire égale pour tous. On ne peut pas conclure sans se souvenir de la
justesse des propos de Charles Nicolle dans le Destin des maladies infectieuses, qui
concluait ses leçons en prévoyant l’apparition de nouvelles maladies infectieuses
qui dépendaient dans l’avenir du comportement des hommes et de la civilisation.
André Laurent PARODI (Membre de l’Académie nationale de médecine)
Depuis une vingtaine d’années, les maladies infectieuses que l’on croyait vaincues
dans les pays développés, font un retour remarqué sous forme d’émergences ou de ré
émergence.
Au cours des quatre dernières décennies le monde a connu, en moyenne, une pandémie
émergente chaque année. Ces pandémies sont toujours la première cause de mortalité
dans les pays du Sud (15 Millions de décès par an).
Depuis 1970, plus de 335 maladies nouvelles ou occasionnées par de nouveaux agents
pathogènes sont apparues. ; 75 % de ces maladies sont d’origine animale. Ce sont des
Zoonoses.
Des circonstances favorables à leur apparition sont multiples. Ce sont, l’accroissement
rapide de la démographie mondiale, l’urbanisation croissante, le vieillissement des
populations, les désordres immunitaires plus fréquents du fait de ce même vieillissement,
de la pratique plus courante des greffes d’organes, de maladies ; c’est encore l’augmentation
explosive et la rapidité des déplacements internationaux, une demande croissante de
viandes, de produits laitiers et d’ovoproduits génératrice d’un commerce international
qui se fait souvent entre pays en voie de développement et pays développés ; la multiplication
des contacts entre humains et animaux domestiques (avec, notamment, la mode des «
nouveaux animaux de compagnie ») ou d’espèces sauvages à la faveur de la popularité
des sports de nature. Ce sont aussi des déplacements massifs de populations migrantes,
précaires, souvent accompagnées d’animaux et des concentrations humaines dans des
conditions à hauts risques sanitaires.
Ce sont aussi de nouvelles pratiques de productions animales. Il s’agit d’élevages
à haute densité et à forte uniformité de sexe, d’âge et souvent génétique, d’animaux
généralement « naïfs » vis-à-vis d’agents infectieux. Parfois encore de concentrations
animales massives maintenues dans une promiscuité étroite avec les hommes.
Des perturbations environnementales contribuent aussi à ces émergences et ré émergences.
Le réchauffement climatique désormais reconnu, est en cause notamment dans l’extension
de l’aire d’occupation de certains insectes vecteurs tels que le Moustique Tigre (Aedes
albopictus) vecteur de la Dengue et du Chikungunya présents dans le Sud de notre pays
depuis 2010. C’est le cas encore de la déforestation à la faveur de laquelle est apparue
l’épidémie à virus Nipah en Malaisie, propagée par des Chauves-Souris frugivores ayant
colonisé des vergers lorsque leur habitat forestier a été détruit et contaminant ainsi
les populations villageoises. C’est le cas encore des grands travaux d’irrigation
le barrage d’Assouan en Egypte, responsable en 1977 d’une forte ré émergence de la
Fièvre de la Vallée du Rift à la faveur de la pullulation des moustiques qu’il entraînée.
C’est enfin la conséquence, sans doute moins connue mais non moins réelle, des graves
perturbations subies par biodiversité. Depuis 1970, on constate le déclin d’environ
30 % des espèces animales (Mammifères, Oiseaux, Amphibiens, Reptiles, Poissons,...).
Quelles relations entre ce constat et l’émergence ou la ré émergence de plus de 300
maladies transmissibles dans le même temps ? Un exemple : celui de l’accroissement
des nouveaux cas de Maladie de Lyme aux USA, actuellement chiffrés à 30 000 par an
et probablement 300 000 selon certains épidémiologistes. La diminution croissante
des populations d’Opossum, traditionnel réservoir de l’agent infectieux Borrelia burgdorferi,
a conduit les Tiques à se nourrir sur un autre petit Mammifère, la Souris à Pattes
blanches, dont on sait qu’elle héberge la bactérie à des taux bien plus élevés que
le fait l’Opossum.
Ces constats et ces alertes ont conduit les Instances internationales en charge de
la santé publique et de la santé animale à décider d’actions conjointes. Celles ci
s’inscrivent dan le Concept « One Health », une seule Santé. Ce concept émergent intègre
les relations existant entre la santé animale, la santé de l’Homme et l’environnement.
Il souligne l’importance de cette collaboration dans une démarche conjointe visant
à contrôler les risques sanitaires, notamment dans le domaine des maladies transmissibles,
émergentes ou ré émergentes, d’origine animale ; en organisant une veille sanitaire
commune visant à un dépistage précoce ; en mettant en œuvre des méthodes communes
de contrôle de ces maladies et en évaluant et signalant l’impact des perturbations
de notre environnement sur leur apparition. En outre, il intervient dans le domaine
de la thérapeutique, s’agissant des traitements appliqués conjointement à l’Homme
et à l’Animal et notamment de l’Antibiothérapie.
Les fondateurs et protagonistes du concept « Une seule Santé », réunis à l’initiative
de la Wildlife Conservation Society (WCS), sont la FAO, l’OIE ou Organisation mondiale
de la Santé animale, l’OMS, l’UNICEF et la Banque mondiale. Comme cela a été rappelé
au cours de cette séance, ils se sont donné pour mission, à travers les Agences et
Institutions nationales et l’action des personnels de Santé de l’Homme et des Animaux,
de détecter les causes de ces maladies et d’en assurer, autant que faire se peut,
la détection et la prévision.
Dans les cas d’apparition d’une maladie potentiellement épidémique, ils édicteront
les règles destinées à en limiter l’extension.
Cette mise en commun des moyens et des procédures est en plein accord avec ce qu’il
est convenu de dénommer les « Principes de Manhattan » de la Wildlife Conservation
Society (2004), lesquels rappellent que « Seule la destruction des barrières qui existent
entre les agences, les individus, les spécialités et les secteurs (de compétence)
permettra de libérer l’innovation et l’expertise capables de répondre aux défis qui
menacent la santé des populations humaines, des populations animales domestiques et
sauvages et l’intégrité des écosystèmes.
Nous sommes désormais à l’ère de « One World, One Health » (OWOH) et nous devons imaginer
des solutions multidisciplinaires, anticipées et évolutives capables de répondre aux
défis qui indubitablement nous attendent. »
Plus que jamais, l’action conjointe de nos deux médecines apparaît nécessaire.
Faut-il rappeler que dès sa fondation, en 1820, notre Compagnie a institutionnalisé
cette alliance en associant aux Médecins qui la composaient, des Pharmaciens et...
des Vétérinaires !