Médecine des maladies Métaboliques (MmM) entame sa quinzième année de parution. Le
choix éditorial reste de vous donner une information et des synthèses de qualité sur
les maladies métaboliques et leurs conséquences. Mais qui aurait pu prédire au moment
où nous faisions paraître le premier numéro de l’année 2020 de MmM et son dossier
consacré à « Infections et Diabète » que ce thème serait « l’Actualité en 2020 » ?
Qui aurait pu imaginer qu’une pandémie s’avançait à bas bruit, allait bouleverser
totalement nos vies en quelques semaines, et devenir « le problème » d’une planète
mondialisée ? Un problème à la fois sanitaire, économique, social, sociétal, depuis
bientôt une année, et certainement encore pendant une année malgré la perspective
ouverte par les vaccins. Nous sommes aujourd’hui confrontés à la plus grande pandémie
depuis un siècle, depuis la grippe dite espagnole, et confrontés à une crise qui met
à mal l’économie mondiale autant que la crise de 1929, il y a près d’un siècle aussi.
En principe, la journée thématique de notre société savante, la Société Francophone
du Diabète (SFD), en décembre 2019, était consacrée au thème « Infections et Diabète ».
Mais elle ne put se dérouler pour des raisons matérielles. Nous avions néanmoins maintenu
ce dossier dans MmM, sans imaginer à quel point il serait d’une telle actualité. Qui
aurait pu prédire que les diabètes et l’obésité seraient les comorbidités les plus
citées pour les formes graves et les décès de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) ?
La SFD, et notre journal, habituellement peu tournés vers les maladies transmissibles,
ont donc fort opportunément mis le doigt sur les liens entre infections et maladies
métaboliques. Aujourd’hui, « maladies métaboliques » et « pandémie de la COVID-19 »
ont fait converger maladies « non transmissibles » et « transmissibles » de façon
aussi inattendue que préoccupante, comme nous l’avons immédiatement compris et écrit
dans MmM [1], [2]. Ceci a aussitôt bouleversé nos pratiques, en particulier la télémédecine,
le télétravail pour d’autres professions, mais aussi l’édition médicale [3]. Nous
avions pu croire que les cancers, les maladies chroniques et celles dues au vieillissement
étaient les seuls vrais enjeux des pays riches. Si ceci reste vrai, mais nous avons
oublié de tirer les leçons de l’histoire de l’humanité qui n’a été qu’une longue succession
d’épidémies meurtrières. Tout cela semblait lointain, surtout vu avec nos yeux d’occidentaux.
Pourtant, du XIXe au XXIe siècle, nous avons connu d’innombrables épidémies, il y
a même moins de 10 ans avec les syndromes respiratoires aigu sévère (SRAS, ou SARS).
La pandémie de la COVID-19 a révélé notre impréparation, autant que la fragilité de
notre monde. En France, les failles de notre système de santé, la faiblesse de notre
politique de prévention, de nos équipements hospitaliers, l'insuffisante autonomie
des régions.. Mais cette crise sanitaire a aussi montré les immenses qualités des
acteurs de santé, dans les hôpitaux comme partout dans la médecine libérale . Comment
avons-nous ignoré la longue histoire des épidémies qui ont touché l’humanité. Quelles
furent les conséquences de ces pandémies historiques ? Il est bon de rafraichir notre
mémoire collective.
D’abord la peste noire, nom donné par les historiens modernes à cette pandémie, principalement
la peste bubonique, qui a sévi au Moyen-Âge (milieu XIVe siècle) [4], [5]. Ramenée
d’Asie par les Mongols, elle a touché l’Asie centrale, l’Europe, l’Afrique du Nord
et, peut-être, l’Afrique subsaharienne (figure 1
). Elle a tué de 30 à 50 % des Européens en 5 ans (1347-1352), faisant environ 25 millions
de victimes. Sans compter les dizaines de milliers de victimes des persécutions de
minorités accusées de propager le mal, en particulier d’empoisonner les puits. En
France, soutenu par le roi Philippe VI, des bûchers et pendaisons sont organisés à
Orléans, en Dauphiné, en Provence, mais aussi à Strasbourg, en Navarre, en Allemagne,
en Castille et à Barcelone [6]. Rien de tel ne se produisit dans l’Empire Ottoman
tout autant touché par cette peste [7]. Bien auparavant, la peste d’Athènes (−430 avant
notre ère), la peste Antonine (165–166), et la peste de Justinien, première pandémie
répertoriée dans l’histoire, qui a sévi à partir de 541 jusqu’en 767, dans tout le
Bassin méditerranéen, avec un paroxysme en 592. Toute l’histoire de l’humanité est
émaillée d’autres grandes épidémies : le typhus qui a de tous temps décimé la planète
et faisait encore des millions de morts au début du XXe siècle en Europe (3 millions
pour la seule Russie durant la révolution d’octobre). Une vague de choléra toucha
l’humanité, du XIXe siècle jusqu’à 1923. Durant cette période, l’Europe subit trois
vagues entre 1829 et 1875 et fit, en France, environ 180 000 morts lors de la seule
seconde vague (figure 2
). Mais que dire des maladies endémiques toujours présentes, mais plus loin de nous
et donc ignorées, paludisme, maladie du sommeil, dengue, qui minent la santé et le
développement de nombreux pays émergents, et du virus de l’immunodéficience humaine
(VIH/SIDA) qui a, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), fait à ce jour
33 millions de morts depuis 1981, encore 690 000 en 2019, avec 38 millions de séropositifs,
et toujours aucun vaccin, même si les avancées thérapeutiques ont été considérables
[8]. On oublie que, le XXe siècle a déjà vécu de grandes pandémies virales qui auraient
pu nous alerter, alors que nous pensions vivre dans un monde sécurisé, hygiéniste,
vacciné contre les maladies infectieuses graves. Le versant sombre de notre capacité
d’oubli. D’abord la grippe « espagnole » (H1N1) [9] qui aurait été, selon l’Institut
Pasteur, à l’origine de 20 à 50 millions de morts en 3 années, soit 2,5 à 5 % de la
population mondiale, et peut-être plus selon d’autres décomptes et estimations (Europe
occidentale, Amérique du nord, Chine, et plus encore en Inde). Cette épidémie de grippe
dite espagnole (d’origine aviaire) est en réalité d’abord apparue au Kansas (États-Unis)
où elle a contaminé de jeunes soldats américains, réunis par dizaines de milliers
dans des camps de formation militaire, avant de traverser le pays, puis l’Atlantique
pour l’Europe lorsque les armées US et canadiennes se portèrent au secours de nos
armée en 1917, puis de se propager dans le monde entier (Figure 3, Figure 4
). Une épidémie précisément « centenaire » que donc beaucoup ont oublié, mais qui
toucha particulièrement des adultes jeunes. Quelques célébrités en moururent (Guillaume
Apollinaire, Egon Schiele...) et des aïeux d’actuelles célébrités, comme le propre
grand père de Donald Trump (la mémoire des épidémies peut nous manquer au point de
ne pas en tirer de leçon). On considère que 500 millions de personnes furent infectées,
soit 27 % des 1,8 à 1,9 milliard de la population mondiale en 1918, avec une mortalité
comprise entre 2 et 10 %. L’atteinte préférentielle d’adultes jeunes pourrait peut-être
s’expliquer par une relative immunisation des personnes plus âgées contaminées, quelques
années auparavant, par un virus proche, une « grippe pneumonique » (1885–1889) qui,
à l’Hôpital de la Pitié, à Paris, tuait deux malades sur trois. Une autre hypothèse
serait que le système immunitaire des jeunes aurait trop vigoureusement réagi à ce
nouveau virus, en déclenchant un choc cytokinique endommageant tous les organes, au
point de tuer nombre de malades. Une hypothèse aussi envisagée pour les formes les
plus graves de la COVID-19. Les causes de ces anomalies de répartition de la mortalité,
des adultes plutôt jeunes, reste cependant toujours inconnues. Plus proche de nous,
la grippe asiatique (1956–1957) liée au virus influenza H2N2 a été la deuxième pandémie
grippale la plus mortelle après celle de 1918. Elle causera 2 à 3 millions de morts
dans le monde, dont 100 000 dans notre pays, soit 10 à 20 fois plus que la grippe
saisonnière, 2–3 % versus 0,1 %, respectivement [8]. Qui s’en souvient ? Partie de
Chine (d’où son nom), le virus gagne Hong Kong, Singapour et Bornéo, puis l’Australie
et l’Amérique du Nord, avant de frapper l’Europe et l’Afrique. Il va muter quelques
années plus tard en H3N2 pour provoquer une nouvelle pandémie en 1968–1969, surnommée
« Grippe de Hong-Kong » (figure 5
). Elle tua 1 million de personnes dans le monde, et plus de 30 000 en France. Cette
dernière marquera les débuts des premiers vaccins antigrippaux efficaces. Si les épidémies
se sont succédées, comme la grippe H1N1 en 2009 [10], qui a touché des millions de
personnes, heureusement la plupart sans gravité, elle avait suscité des débats houleux
en France et des critiques violentes contre notre ministre de la santé d’alors, Roselyne
Bachelot, pour un excès de réactivité ! Il n’est pas bon d’avoir raison trop tôt.
On sait la suite de l’histoire. Dès 2003, le monde a été confronté au SARS (ou SRAS),
la première épidémie à risque mondial du XXIe siècle, que se limita en réalité à l’Asie,
partie de Chine en 2002, avec 8000 cas et 800 morts. Grâce à une mobilisation internationale
sans précédent, motivée par l’alerte mondiale déclenchée le 12 mars 2003 par l’OMS,
l’épidémie a pu être endiguée par des mesures d’isolement et de quarantaine. Cet agent
causal du SRAS, un coronavirus inconnu jusqu’alors (SARS-CoV1), a pu être rapidement
identifié. Suite à ces alertes répétées, l’Asie a beaucoup appris depuis et a su lutter
efficacement contre la propagation des épidémies [11]. On sait les chiffres de mortalité
particulièrement faibles dans toute l’Asie malgré des moyens sanitaires assez inégaux,
mais peut-être aussi grâce à une moindre sensibilité à ce virus. Une épidémie de faible
ampleur le MERS-CoV (pour Middle East Respiratory Syndrom) se développa ensuite au
Moyen-Orient, Arabie Saoudite surtout. Sa très faible propagation serait liée à la
zone géographique touchée, à très faible densité de population pour les foyers concernés
[12].
Figure 1
Diffusion de la peste noire en Europe au Moyen-Âge [Wikipedia. https://images.app.goo.gl/nkH81Z7syZkQRDmd6]
Figure 2
La pandémie de choléra « morbus » en France (1829–1852: 180 000 à 300 000 morts),
caricature française de 1830 [Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/deuxieme_pandemie_de_cholera]
Figure 3
Taux de mortalité de la grippe espagnole entre 1918–1919 ; États-Unis (New York),
Europe (Londres, Paris, et Berlin) [Wikipedia. https://images.app.goo.gl/zy7hCqAn4ALgDvpJ6]
Figure 4
1918, policiers à Seattle (États-Unis) portant le masque pendant la pandémie de grippe
[© Archives Nationales (France)]
Figure 5
Virus de la grippe A (H3N2) responsable de la « grippe de Hong-Kong » 1968–1970 (qui
fit 30 000 morts en France en 1969) [Wikipedia]
À ce jour (le 8 décembre 2020), l’OMS dénombre officiellement dans le monde 68 millions
de cas de COVID-19, et 1,6 millions de décès directement liés à ce coronavirus, dont
plus de 60 000 en France [8] (figure 6
[13]. Des chiffres surement en deçà de la réalité puisque, pour nombre de pays, les
données sont peu fiables ou absentes. Ceci paraît évident lorsque l’on examine les
données de certains pays, y compris mitoyens, et aux populations en tous points comparables,
avec des ratios allant de 5 à 10 pour le nombre de cas et de décès.
Figure 6
Évolution du nombre quotidien de décès en France liées à la COVID-19 depuis début
mars 2020 au 7 décembre 2020 [13]. Données issues de Google Actualiés. https://news.google.com/covid19/map
Dès les premières données venues de Chine, on s’est aperçu que l’âge, le sexe masculin,
et certaines comorbidités, s’accompagnaient d’une plus forte morbi-mortalité. La présence
d’un diabète avait déjà été identifié comme un facteur indépendant associé à un mauvais
pronostic lors des dernières infections par d’autres coronavirus, telles que le syndrome
respiratoire aigu sévère SRAS-CoV1 en 2003, et le MERS-CoV en 2012 [14], [15]. Très
rapidement après le début de la pandémie, les comorbidités, dont le diabète, sont
de nouveau apparues en Chine comme associées aux formes graves de la COVID-19 (12 à
22 % à Wuhan). Ce sont les pays plus touchés par l’obésité et le diabète, bien sûr
les États-Unis et l’Europe, qui ont ensuite mis l’accent sur ces deux comorbidités.
Dans ce concert de travaux, de qualité très inégale, publiées trop précipitamment
par les journaux médicaux prompts à une concurrence qui ne devrait pas avoir sa place
en médecine (81 000 articles sur la COVID-19 au moment où je rédige), il en faut remarquer
certains et, cette fois, issus de notre pays. L’étude multicentrique française « Coronavirus
SARS-CoV-2 and Diabetes Outcomes » (CORONADO) [16] qui, mise en route en une semaine
par nos collègues nantais, Bertrand Cariou et Samy Hadjadj, suivis immédiatement par
tous les diabétologues pouvant y participer, 68 centres, a permis de disposer de données
d’une qualité rare et presque inégalée sur les formes graves et les décès des diabétiques
hospitalisés. Un article porte sur cette étude dans le dossier thématique « COVID-19 et
maladies métaboliques » de ce numéro de MmM. Nous nous contenterons de saluer cette
initiative, cette réussite, cette solidarité de la diabétologie française (SFD, Fondation
francophone pour la recherche sur le diabète [FFRD], Société française d’endocrinologie
[SFE], etc.) qui font honneur aux initiateurs et à la communauté diabétologique. Une
réactivité et un succès qui méritent d’être salués et qui témoignent de la grande
qualité de la jeune diabétologie en France. Espérons que cela sera suivi d’autres
signes de dynamisme une fois l’épidémie passée, si le mille-feuille administratif
(pour cette fois réactif) ne gêne ni ne retarde la participation des collègues à des
protocoles internationaux, n’autorisant souvent notre participation qu’une fois les
inclusions terminées ailleurs dans le monde. Cette étude française tente aussi d’associer
la francophonie (Belgique, Afrique) par CORONADO-Extension. L’obésité est, bien sûr,
l’autre comorbidité au premier plan des risques de formes nécessitant réanimation,
ventilation, et exposant à un haut risque de décès [17]. Les équipes françaises, là
encore, eurent leur mot à dire avec succès [18], [19], [20]. Les conséquences sur
nos pratiques (télésuivi des diabétiques, téléconsultations) et sociétales, ont déjà
fait l’objet d’articles dans MmM [21], [22]. D’autres conséquences ou retombées de
la pandémie de la COVID-19 sont aussi traités dans ce dossier thématique. Nul doute
que nous devrons revenir sur cette pandémie et ses relations avec la santé des sujets
ayant un diabète ou une obésité.
Déclaration de liens d’intérêts
l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.